Tromper poliment

Les aventures de l'homme moyen #57

Par
David Malo
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Ici au Québec, notre conception du couple est basée sur les contes de fées, les films d’amour et sur les vestiges de la religion catholique. Un couple, c’est fidèle, exclusif et c’est pour toujours. Afin éviter les tentations interdites ou la damnation éternelle, nous avons développé un langage parallèle afin que le couple corresponde mieux à notre nature d’humain tout en gardant intacte la pureté de ce modèle d’amour.

(Aviez-vous lu le 56e épisode?: Opinion d’urinoir)

« On a pris un break quelques mois avant de revenir ensemble, j’imagine qu’il voulait me tromper poliment. »

C’est ce qu’une amie m’a dit en me parlant de l’une de ses anciennes relations. Sous le prétexte d’avoir besoin d’un peu de temps pour soi et de faire le point sur le couple, on peut alors aller voir ailleurs sans s’embarquer dans un labyrinthe composé de mensonges et de grandes omissions de détails. C’est parfois dur sur la conscience de tromper une personne qui s’attend à notre fidélité. On se questionne sur si on le dit ou pas et une fois que l’on embarque dans ce jeu-là, c’est bien difficile de s’en sortir avec une bonne réputation et sans blesser les gens.

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Quand le délai du break se termine, après avoir vu que la nouvelle personne n’était pas vraiment faite pour nous, on revient vers l’autre en disant :

« Finalement, j’y ai bien pensé et je me sens bien avec toi, j’aimerais vraiment que ça marche nous deux, on recommence? »

Ça, c’est la version plus polie, même si tout le monde sait très bien ce qui se passe pendant ces soi-disant « breaks ». On peut dire que l’on reste quand même intègre. On avait le droit et on n’a pas de compte à rendre.

Il y a aussi les trucs un peu moins honnêtes qui ont tendance à prendre les autres pour des nigauds. Il y a ces petits mensonges qui ne paraissent plus qu’on pense : le temps supplémentaire récurant au travail et les voyages d’affaires de plus en plus fréquents.

Le pire de tous, c’est quand la batterie du cellulaire tombe à plat dans un moment stratégique.

« Scuse moi si je ne t’ai pas répondu hier soir, ma batterie de cell est morte et je n’avais pas de chargeur. »

C’est un peu dur à croire quand l’autre sait très bien que vous êtes scotché sur votre cellulaire à temps plein, que vous avez trois chargeurs de rechange, une batterie de secours externe et que votre meilleur ami est avec la même compagnie que vous afin que vous puissiez insérer votre carte SIM dans son téléphone au besoin.

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Ça, c’est un peu moins poli, mais les gens ne posent pas trop de questions. C’est assez plausible pour que ce soit vrai, même si on n’y croit pas deux secondes. D’ailleurs, avons-nous encore le droit de poser des questions sans être associés aux jaloux?

Personne ne veut être le jaloux.

Malgré tout ce qui ne fonctionne pas avec ce modèle, les célibataires sont persuadés que c’est ce qu’ils recherchent : l’amour pour toujours et tout de suite. C’est beaucoup de pression. Les gens seuls se disent que dans le fond, ils n’en ont rien à foutre de cette liberté si c’est pour finir seul au bout de la ligne. Il devient lassant de recommencer à zéro, relation après relation, de raconter ce qu’on fait dans la vie, nos rêves, nos peurs et nos envies. Pour connaître quelqu’un depuis deux ans, ça prend deux ans et deux ans en couple, c’est long. (Du moins pour moi)

Dans une relation stable, l’autre sait déjà que notre vie n’est pas uniquement composée de faits saillants comme dans le résumé que l’on fait aux inconnus. L’autre sait que l’on passe beaucoup plus de temps devant la télé qu’au gym. L’autre sait que l’on se trouve un peu incompétent à la job, que l’on est paresseux avec nos projets et insécure avec l’argent. L’autre sait que notre véritable place n’est pas dans le monde des condos, des assurances et des REER et elle sait ce qu’on raconte quand on parle de la vie l’échelle des étoiles. L’autre nous aime sans que l’on porte le moindre masque.

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La seule chose où l’autre ne peut pas nous aider dans le couple, c’est pour notre désir de retrouver cette liberté du célibataire et la tentation de rencontrer à nouveau ce potentiel du présent. Malgré notre bonheur apparent, c’est difficile de concevoir que jamais nous ne revivrons l’excitation des débuts de relations. Ne pas rentrer à la maison toujours à la même heure, aller prendre un café avec une collègue de bureau qui nous plaît, pas nécessairement pour baiser ou pour bâtir une meilleure relation, mais simplement pour retrouver cette spontanéité que l’on perd parfois dans les habitudes d’un couple stable.

Joindre l’aventure à la stabilité est quelque chose de bien difficile à concilier pour certains. D’autres n’en ont aucunement besoin. Parfois, c’est en allant voir ailleurs qu’on se rend compte qu’on ne manque rien de si extraordinaire, qu’on est bien chez nous. Est-ce que je vais brûler en enfer pour avoir dit ça?

Autour de moi, je vois beaucoup de couples qui semblent s’aimer pour vrai, mais je vois aussi beaucoup de gens qui se fréquentent en attendant de trouver l’amour comme ce modèle de perfection que l’on nous montre depuis si longtemps.

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Les gens en couple envient la liberté des célibataires et les célibataires envient la stabilité que procurent les longues relations. Une histoire de gazon plus vert chez les voisins encore.

Peut-être aussi que la responsabilité revient à nous de créer un couple à notre image et de le communiquer avec l’autre.

L’important, c’est de rester poli.