Que ceux et celles qui se déclarent citoyens du monde se lèvent. On décomptera bien quelques milliers de personnes bien-pensantes. Pendant ce temps, les milliards d’autres être humains feront bien ce que bon leur semble.
L’ignorance est partout. Et souvent là où on ne s’y attend pas.
“Les Haïtiens, c’est un peu comme les Indiens, ils sont incapables de se prendre eux-mêmes en main.” Il y a quelques années, mon grand-père, que j’admire pourtant, m’avait surpris par cette déclaration douteuse.
Chacun possède sa part d’ignorance et de peur. S’affranchir de celle-ci n’est pas toujours simple.
Encore tout récemment, la majorité de la population québécoise voyait les Noirs et les Amérindiens comme des personnes inférieures. S’il avait fallu se fier qu’aux sondages, les femmes n’auraient jamais eu le droit de vote, ni les homos le droit d’adopter.
Vendredi dernier, à Port-au-Prince, l’ignorance a encore pointé le bout de son nez.
“Si je trouve un homosexuel là, je le frappe, je le tue même”, affirmait un manifestant réuni avec d’autres par des groupes évangéliques au nom de la bible.
La loi française du mariage pour tous a laissé des grands débats dans son sillage en Haïti. La société haïtienne n’est peut-être pas aussi homophobe que la société jamaïcaine, une telle proposition de loi serait tout de même un suicide politique dans ce pays à la moralité toute « chrétienne ».
Le mois dernier, la police et sa morale ont par exemple fièrement mis en prison un médecin qui s’apprêtait à pratiquer un avortement auprès d’une adolescente violée. Ici, les « avorteurs » sont encore arrêtés dans des rafles en compagnie de kidnapeurs et de violeurs.
Le président de la chambre des députés haïtiens a lui aussi rejeté du revers de la main l’idée d’une loi sur le mariage gay. Derrière le masque d’une marche pacifique, les preachers ont tout de même pu casser du sucre sur un sujet rassembleur : la haine.
Ce sont ces mêmes groupes évangélistes qui descendent dans les rues pendant les fêtes vodous pour enterrer les cérémonies par leurs prières crachées depuis des chars allégoriques remplis de hautparleurs.
« Cette marche est pacifique, mais l’homosexualité est une abomination », a raconté l’un des pasteurs aux journalistes vendredi. Après la manif, quatre hommes identifiés comme gays ont été passés à tabac au centre-ville. Deux d’entre-eux seraient morts des suites de leurs blessures, selon les médias locaux.
« Je suis contre la légalisation de tout ce qui n’entre pas dans la culture haïtienne », a affirmé quant à lui le député de la ville de Léogane. Une ignorance bien ironique. Comme en Afrique, l’histoire démontre que l’homophobie a été importée par des Blancs.
Après les catholiques, ce sont les évangélistes des États-Unis qui sont débarqués en masse suite à l’occupation américaine de 1915-1934. Encore aujourd’hui, on ne peut plus prendre un vol vers New York ou Miami sans croiser un groupe de ces missionnaires.
Toutefois, l’homosexualité fait partie de la culture traditionnelle haïtienne depuis des siècles. Ils ont même leur « lwa », sorte de « saint » du vodou.
L’ignorance des autres
L’ignorance plane aussi sur ceux qui jugent trop vite les gens qu’ils considèrent ignorants.
Comme ceux qui pensent sauver Haïti en s’improvisant travailleurs humanitaires.
Suite à une grande mobilisation en 2010, un Montréalais a par exemple envoyé un bateau rempli de bouteilles d’eau. Il n’avait pas compris que les usines de filtration d’eau avaient repris du service à Port-au-Prince dans les jours suivants la catastrophe. Un bateau peut prendre jusqu’à trois mois à se rendre de Montréal vers Haïti.
L’enfer est pavé de bonnes intentions.
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Twitter : etiennecp
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NB
Depuis quelques semaines, on constate que la richesse culturelle québécoise inspire de plus en plus en Haïti. Port-au-Prince aura bientôt son école de l’humour. Le Diner en blanc et le spectacle de Rachid Badouri et Eddy King ont touché des centaines d’Haïtiens (aisés) la semaine dernière.
Les « citoyens du monde » montréalais ne sont pas en reste. Depuis trois semaines, quatre Haïtiens organisent un « tam-tam » inspiré de celui de Montréal sur une place publique de Pétion-Ville, en banlieue de Port-au-Prince.